"Écoute la flûte..."
بشنو از نی چوں حکایت می کند
از جدای ها شکایت می کند
کز نیستاں تا مرا ببریده اند
از نفیرم مرد و زن نالیده اند
Transcription phonétique:
Bichnou az ney tchon hikaayat mi kounad
Az djoudaï haa chikaayat mi kounad.
Kaz naïasstan ta marra babourridande
Az nafirram mard o zan naalidaande.
« Écoute la flûte quelle histoire elle raconte
Elle pleure sa plainte de sa séparation.
Depuis que l'on m'a coupée de ma jonchaie
Mes lamentations font pleurer les femmes et les hommes. »
Ainsi commence le Mathnawi Ma'nawi, les distiques inspirés de Roumi, ces vers de 11 pieds qui fouillent l'homme et l'univers à la recherche du Divin.
Roumi ouvre l'expression de son message par cette injonction de tendre l'oreille au son de la flûte. C'est déjà une assertion insolite de la part d'un savant de la scolastique musulmane car l'on sait que l'Islam réprouve les instruments de musique. D'autre part, il aurait pu employer une autre image : « écoute le ciel, le vent ou les étoiles ». Pourquoi donc la flûte?
Le premier symbole est l'assimilation de ce roseau à l'homme lui-même : quand le souffle du divin traverse le corps du derviche, il en sort un son, une plainte, un gémissement de douleur car il se rend compte de sa séparation d'avec son Bien-Aimé. Le corps de l'homme est le vide de cette Syrinx qui pleure sa douleur d’être séparée de son Amour. Cette nymphe fuit les attaques lubriques d'un Pan tout puissant qui représente les violentes attirances du soufi vers le monde extérieur, matériel, éphémère et ses attaques qui le poursuivent jusqu'au sein même de ses adorations. Syrinx devient alors un roseau que Pan coupe pour en faire une flûte sur laquelle il joue une musique triste et plaintive de la perte de l'objet de son amour. En s'enfuyant devant ses propres instincts, la Beauté est découverte et préservée et le corps devient une flute qui n'exprime plus que le son magique de l'univers, ce Saut-e-Sarmat du soufi, ce son abstrait, silencieux, qui assourdit l'espace de son ensorcelante musique.
Dans « L’après-midi d'un faune », Mallarmé retrouve ce mystère:
"Tâche donc, instrument des fuites, Ô maligne
Syrinx, de refleurir aux lacs où tu m'attends".
Beauté des mots pour une Beauté des émotions. Fuite donc que ce bambou qui pleure commande à l'esprit et le corps en quête du Divin. Fuite de tout cet investissement naturel vers un monde extérieur dont nous dépendons. Fuite non pas de l'air, l'espace, la terre, l'eau ou la lumière qui maintiennent notre vie, mais fuite de donner sa confiance, de croire que chercher Dieu dans les formes ascétiques, les prières et les litanies répétées, l'obéissance aveugle à un "code du divin" puisse suffire à amener la Rencontre tant implorée, tant suppliée du Visage, du Parfum, du Sourire, des Caresses de Dieu. Il en faut plus. Bien plus. Comme dans toute voie vers une connaissance d'un art ou d'un savoir, le chemin est long. Les années d'entraînements, de répétitions, de chutes et de recommencements, de récidive effrénée vers la pureté sont nécessaires et incontournables. La maîtrise ne peut s'obtenir par de simples vœux pieux, une innocente attirance et volonté de cerner le sacré. Les larmes et le sang sont cet océan où il faut apprendre à nager pour extirper de soi toutes les erreurs, les illusions, les masques que l'esprit dictateur érige en voiles opaques. Écarter, déchirer ces voiles demande un grand courage, une audace de guerrier qui a vaincu la peur de la mort, qui en a fait sa compagne, a éliminé l'épouvante devant les combats. Le derviche a mis longtemps avant de découvrir l'espoir, la certitude cette fois-ci non violente, non dirigée vers la soi-disant indignité de son corps, simplement vécue comme une évidence dans toutes ses fibres...
بشنو از نی چوں حکایت می کند
از جدای ها شکایت می کند
کز نیستاں تا مرا ببریده اند
از نفیرم مرد و زن نالیده اند
Transcription phonétique:
Bichnou az ney tchon hikaayat mi kounad
Az djoudaï haa chikaayat mi kounad.
Kaz naïasstan ta marra babourridande
Az nafirram mard o zan naalidaande.
« Écoute la flûte quelle histoire elle raconte
Elle pleure sa plainte de sa séparation.
Depuis que l'on m'a coupée de ma jonchaie
Mes lamentations font pleurer les femmes et les hommes. »
Ainsi commence le Mathnawi Ma'nawi, les distiques inspirés de Roumi, ces vers de 11 pieds qui fouillent l'homme et l'univers à la recherche du Divin.
Roumi ouvre l'expression de son message par cette injonction de tendre l'oreille au son de la flûte. C'est déjà une assertion insolite de la part d'un savant de la scolastique musulmane car l'on sait que l'Islam réprouve les instruments de musique. D'autre part, il aurait pu employer une autre image : « écoute le ciel, le vent ou les étoiles ». Pourquoi donc la flûte?
Le premier symbole est l'assimilation de ce roseau à l'homme lui-même : quand le souffle du divin traverse le corps du derviche, il en sort un son, une plainte, un gémissement de douleur car il se rend compte de sa séparation d'avec son Bien-Aimé. Le corps de l'homme est le vide de cette Syrinx qui pleure sa douleur d’être séparée de son Amour. Cette nymphe fuit les attaques lubriques d'un Pan tout puissant qui représente les violentes attirances du soufi vers le monde extérieur, matériel, éphémère et ses attaques qui le poursuivent jusqu'au sein même de ses adorations. Syrinx devient alors un roseau que Pan coupe pour en faire une flûte sur laquelle il joue une musique triste et plaintive de la perte de l'objet de son amour. En s'enfuyant devant ses propres instincts, la Beauté est découverte et préservée et le corps devient une flute qui n'exprime plus que le son magique de l'univers, ce Saut-e-Sarmat du soufi, ce son abstrait, silencieux, qui assourdit l'espace de son ensorcelante musique.
Dans « L’après-midi d'un faune », Mallarmé retrouve ce mystère:
"Tâche donc, instrument des fuites, Ô maligne
Syrinx, de refleurir aux lacs où tu m'attends".
Beauté des mots pour une Beauté des émotions. Fuite donc que ce bambou qui pleure commande à l'esprit et le corps en quête du Divin. Fuite de tout cet investissement naturel vers un monde extérieur dont nous dépendons. Fuite non pas de l'air, l'espace, la terre, l'eau ou la lumière qui maintiennent notre vie, mais fuite de donner sa confiance, de croire que chercher Dieu dans les formes ascétiques, les prières et les litanies répétées, l'obéissance aveugle à un "code du divin" puisse suffire à amener la Rencontre tant implorée, tant suppliée du Visage, du Parfum, du Sourire, des Caresses de Dieu. Il en faut plus. Bien plus. Comme dans toute voie vers une connaissance d'un art ou d'un savoir, le chemin est long. Les années d'entraînements, de répétitions, de chutes et de recommencements, de récidive effrénée vers la pureté sont nécessaires et incontournables. La maîtrise ne peut s'obtenir par de simples vœux pieux, une innocente attirance et volonté de cerner le sacré. Les larmes et le sang sont cet océan où il faut apprendre à nager pour extirper de soi toutes les erreurs, les illusions, les masques que l'esprit dictateur érige en voiles opaques. Écarter, déchirer ces voiles demande un grand courage, une audace de guerrier qui a vaincu la peur de la mort, qui en a fait sa compagne, a éliminé l'épouvante devant les combats. Le derviche a mis longtemps avant de découvrir l'espoir, la certitude cette fois-ci non violente, non dirigée vers la soi-disant indignité de son corps, simplement vécue comme une évidence dans toutes ses fibres...